C'est le deuxième ouvrage que j'ai dépoussieré ces jours-ci et que je relis avec plaisir.
La Nuance, dictionnaire de la subtilité du français est le troisième opus des dictionnaires de Alain Duchesne et Thierry Leguay sur la langue française, paru en 1996.
Le premier :
L'Obsolète, dictionnaire des mots perdus (1988)
Le deuxième :
La Surprise, dictionnaire des sens cachés (1990
Quatrième de couvertureCharmes, attraits ou appas ? Contentement ou satisfaction ? Envie ou jalousie ? Lassitude ou fatigue ? Paresseux ou fainéant ? Alain Duchesne et Thierry Leguay nous invitent à partager les plaisirs de la nuance.
Dans la lignée de Littré, dont
le dictionnaire de la langue française est le point de départ de leur voyage, les auteurs précisent les subtiles distinctions de sens, et donc d’emploi, qui existent entre certains mots que l’on dit synonymes.
Ils mettent ainsi en lumière des différences qui ont pu, depuis
le Littré, s’estomper ou bien au contraire s’accentuer, certains mots étant tombés, aujourd’hui en désuétude. Aux articles du Littré s’ajoutent de nombreuses citations d’auteurs qui éclairent les emplois des mots.
Les commentaires d’Alain Duchesne et de Thierry Leguay, dont la vivacité et l’érudition, séduiront les amoureux du français, dépassent bien souvent le cadre de la lexicologie stricte pour s’ouvrir à des commentaires sur notre actualité et sur nos préoccupations intellectuelles, éthiques ou esthétiques, dont notre langue est le reflet.
Rien de pompeux ou d’inaccessible dans ce dictionnaire. On le parcours au gré de nos envies, en prenant une page au hasard parce que tel ou tel mot nous a un peu plus interpellé et l’on y découvre que l’on méconnaît notre langue. A une subtilité près, le sens que l’on a accordé à un mot n’est pas celui que l’on pensait.
On la méconnaît parce qu’elle est d’une richesse inouïe et qu’il faudrait pour celà que l’on pousse un peu plus son étude au-delà de ce que l’on a appris tout au long de notre scolarité. Mais voilà, explorer les tréfonds de notre langue, à notre niveau, me paraît être une entreprise quelque peu vaine ou plutôt laborieuse. C’est pourquoi, je trouve un intérêt particuliers à ce genre d’ouvrage, il nous permet d’en apprendre plus et de faire des découvertes intéressantes. Même si notre vocabulaire n’est pas pauvre et que nous ne sommes pas des ignorants, nous employons souvent un mot pour un autre.
Un petit exemple tiré du livre Se priver – s ‘abstenir.
S’abstenir n’exprime qu’une action, se priver exprime aussi le sentiment qui l’accompagne. On peut s’abstenir d ‘une chose indifférente ; on ne se prive que d’une jouissance.
Deux attitudes bien distinctes se trouvent dessinées ici.
Se priver signale un abandon mal vécu (autant dire malheureux). La privation que l’on s’inflige prend la forme d’une autopunition dont on compte bien faire payer le désagrément à quelqu’un. « N’oublie pas que je me prive pour toi ! » est un énoncé fréquent dans les familles. Le sujet qui se prive, ne manque jamais de le dire, animé par le ressentiment.
L’abstention, en revanche, trace un simple retrait, souvent mat (l’interpréter comme une protestation revient à le « récupérer »). Celui qui s’abstient sort du cercle social pour garder sa sérénité. Ou parce qu’il ne veut pas participer au débat. Telle suspension tranquille rapproche d’attitudes taoïstes : la suspension est la voix du neutre. Autant dire qu’on la perçoit toujours mal (voir la façon dont on considère le problème lorsqu’il s’agit d’élections), car elle représente une sorte « d’arrêt de jeu ».
«
Il ne faut ni vigueur, ni jeunesse, ni santé pour être avare ; il faut laisser seulement son bien dans ses coffres et se priver de tout » La Bruyère
«
C’est la grande erreur des pessimistes de n’être jamais certains que du pire, et de toujours mettre le meilleur en doute, quitte à se priver de bien des douceurs » Henriot
«
Quand elle approchait de mon visage son museau sec et noir barbouillé de tabac d’Espagne, j’avais peine à m’abstenir d’y cracher » Rousseau
«
Il est vain d’agir ou de s’abstenir ; il est indifférent de vivre ou de mourir. J’ai en effet renoncé aux choses vaines qui font communément le soucis des hommes » A.France
J’aime bien la petite citation en début de livre.
"
Chacun a ses faiblesses. Littré en avait pour sa bonne. Un jour qu'il la lutinait, Mme Littré poussa la porte et s'écria: "Ah, monsieur, je suis surprise! " Et le regretté Littré, se rajustant, lui répondit : "Non Madame, vous êtes étonnée. C'est nous qui sommes surpris." Elle est bien explicite, non ?