Présentation de l'éditeurLe 24 décembre 1534, place Maubert, pendant que chacun s'apprête à fêter Noël, un imprimeur, suspect d'hérésie, est pendu, son corps et ses livres brûlés. Homme de lettres, érudit, Antoine Augereau a connu les intellectuels les plus brillants des débuts de la Renaissance, à Fontenay-le-Comte où il passa son enfance à l'ombre du couvent qui accueillait François Rabelais, à Poitiers durant son apprentissage, et enfin, rue Saint-Jacques où il s'installa en ces temps où elle abritait plusieurs imprimeurs par maison. C'est là qu'il a publié François Villon ou Clément Marot, là qu'il a inventé l'usage des accents et de la cédille, là qu'il a gravé et transmis les caractères typographiques qui ont modelé ceux dont nous nous servons encore de nos jours. Comment cet humaniste est-il parvenu à s'attirer les foudres des théologiens de la Sorbonne ? La publication du Miroir de l'âme pécheresse de Marguerite de Navarre, sueur du roi François Ier, fut-elle la vraie cause de sa perte ? Parce qu'il s'indigne autant qu'il cherche à comprendre, Claude Garamond, le plus célèbre de ses disciples, entreprend de raconter son histoire. L'histoire passionnante et bouleversante d'un être généreux, ennemi de tout fanatisme, mais prêt à mourir pour défendre ses idées. Comme pour Le trajet dune rivière (prix des libraires 1995), Anne Cuneo, dans une éblouissante mise en scène romanesque, dévoile et rend justice à un personnage hors du commun.
Mon avis
J’ai refermé le livre il y a quelques minutes. A chaud, je suis totalement sous le charme de ce livre exceptionnel. J’ai dévoré les 600 pages du roman avec délectation et il va m’être difficile de rester objectif.
Tout d’abord, j’ai été happé par l’histoire. La vie d’un imprimeur érudit au XVIe siècle est passionnante. Le foisonnement intellectuel autour des livres, la redécouverte des grands classiques du passé, le désir d’épurer les textes anciens et de retrouver leurs versions originales, l’envie de traduire la Bible en Français pour la partager, tous ces éléments rendent le contexte idéal pour captiver le lecteur amateur de livres. Mais au delà du monde du livre, des enjeux bien plus grands influencent les événements : les thèses de Luther, la peur de la Sorbonne face aux écrits, le début des vagues de condamnation pour hérésie… L’histoire serpente à travers tous ces éléments avec brio.
Le portrait d’Augureau est d’autant plus vivant que les personnages (réels au demeurant) rencontrent d’autres personnes célèbres : François Villon, Rabelais, Calvin, Marguerite de Navarre et bien d’autres. De Paris à Venise, en passant par Bâle et Neuchâtel, c’est tout un monde qui s’active. L’écriture est en outre très fluide et les pages se tournent à une vitesse ahurissante. D’un point de vue visuel, c’est la police d’écriture Garamont qui est d’ailleurs utilisée.
Le livre n’est pas exempt de défauts pour autant. Le narrateur annonce trop souvent ce qu’il va se passer (au bout d’un moment on a compris que Maître Augureau va finir sur le bûcher). Je regrette aussi un peu trop de « gentillesse » dans les réactions de la plupart des personnages. Il y a peu de confrontations directes si ce n’est en deuxième rideau. Quant à la véracité historique, l’auteure nous en parle tout à la fin, dans une annexe, et aussi étonnant que cela puisse paraître, je n’en ai cure.
Enfin, je recommande ce livre par la brillante démonstration qu’il fait sur le pouvoir du livre justement. Car face au foisonnement dont j’ai parlé, il ne faut pas oublier l’attitude de l’Eglise (et de François 1er ) qui iront jusqu’ interdire l’imprimerie. Le schisme de l’Eglise illustre très bien la force des livres à véhiculer les idées, à soutenir la critique et à élargir l’horizon humain. Et dans cette œuvre, on voit clairement que les exécutions et autre feux de joie ne peuvent rien contre ce pouvoir.
PS: il n'y a malheureusement pas la police Garamond sur ce forum, mais je vous invite à aller la voir sur Word, car à l'époque elle avait été conçue pour être facilement lisible et être ainsi à la portée du plus grand nombre.