Dans
La disparition de
Georges Perec, l'auteur reprend des poèmes célèbres et leur applique sa contrainte : le lipogramme en e.
Je suis enthousiamée par sa performance et je veux faire partager mon admiration pour cet exploit. Par contre lire la disparition n'est pas tâche aisée car Georges Perec utilise beaucoup les accumulations, énumérations ou listes et c'est un peu lourd à mon goût. Mais ça vaut le coup d'essayer pour comment il a fait.
Voici donc sa version d'un poème de
Rimbaud, suivi de l'original et un extrait de la revue Lire, qui explique ce qu'est un lipogramme (voir dans le forum
Petits jeux d'écriture entre membres : la lettre interdite )
VocalisationsA noir (Un blanc), I roux, U safran, O azur :
Nous saurons au jour dit ta vocalisation :
A, noir carcan poilu d’un scintillant morpion
Qui bombinait autour d’un nidoral impur,
Caps obscurs ; qui, cristal du brouillard ou du Khan,
Harpons du fjord hautain, Rois Blancs, frisson d’amis ?
I, carmins, sang vomi, riant ainsi qu’un lis
Dans un courroux ou dans un alcool mortifiant ;
U, scintillations, ronds divins du flot marin,
Paix du pâtis tissu d’animaux, paix du fin
Sillon qu’u n fol savoir aux grands fronts imprima ;
O, finitif clairon aux accords d’aiguisoir,
Soupirs ahurissant Nadir ou Nirvâna :
O l’omicron, rayon violin dans son Voir !
Arthur Rimbaud modifié par Georges Perec pour La disparition, 1969L’original :
VoyellesA noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Arthur Rimbaud, Poésies, septembre 1871
Dans la revue LIRE, février 1992
Extrait de L'abécédaire de Georges Perec : D comme disparition
« Le lipogramme est vieux comme le monde. Grecs, Romains, Espagnols du siècle d'Or ou versificateurs anglais s'amusaient à se priver d'une ou de plusieurs lettres. Fasciné par le procédé, Perec a écrit une brève "Histoire du lipogramme" et proposé des “traductions lipogrammatiques” de Rimbaud et de Baudelaire - devenu pour l'occasion Un fils adoptif du Commandant Aupick. Mais il est surtout le recordman du monde de la spécialité: 312 pages sans la lettre “e”. Une performance d'autant plus étourdissante que beaucoup de lecteurs de La disparition - et de critiques littéraires! - ne remarquèrent même pas cette absence. »
Je vais bientôt vous livrer les deux versions d'un autre poème de Victor Hugo cette fois.